Le Jeu de paume va renaître de ses cendres
15 avril 2016
Dans la rue du même nom, le jeu de paume de Chinon, un des plus anciens de France, tombait lentement en décrépitude. Deux passionnés viennent de l’acheter pour le remettre non seulement en état, mais aussi en fonction.
Le grand bâtiment vide qui prend l’eau au n°12 de la rue du Jeu de paume ne ressemble plus à grand chose. Désaffecté depuis des années, défiguré par un rang de garages en parpaings, il servait jusque dans les années 70 d’entrepôt pour un volailler, dont les publicités murales ornent toujours l’intérieur. Rien ne rappelle qu’il fut, au XVIIème siècle, un lieu de loisir et de sociabilité, l’équivalent d’un club de tennis d’aujourd’hui. Bâti à la fin du XVIème, il permettait en effet aux Chinonais de jouer à la paume – l’ancêtre de tous les jeux de raquette – qu’il pleuve ou qu’il vente. Par beau temps, le jeu se déroulait à l’extérieur, sur les places, les promenades et dans les parcs (longue paume). Par mauvais temps, moyennant quelques adaptations de la règle, les joueurs se réfugiaient dans le bâtiment pour y pratiquer la “courte paume”.
Situé derrière l’auberge de la Lamproie (et peut-être rattaché à l’établissement) le bâtiment de la rue du Jeu de paume n’était d’ailleurs pas le seul à attirer les joueurs (et les parieurs). Ce sport, alors très populaire, avait en effet suscité à Chinon, du XVIème au XVIIème siècle, la construction d’au moins cinq autres jeux couverts. Le plus ancien pourrait avoir été situé dans le quartier du Vieux marché, un autre – appartenant au seigneur de la Roche-Clermault – place Victoire, un troisième près de la Porte neuve. Les deux derniers s’élevaient, l’un sur la place de l’Hôtel-de-ville, le dernier derrière une auberge, entre la rue de l’Ours et l’actuelle rue Jean Macé. Deux “paumiers” professionnels résidaient d’ailleurs en ville, enseignant le jeu aux débutants, entretenant les “courts” et fabriquant raquettes, balles et filets.
Un jeu qui a laissé des traces
La pratique du jeu de paume a laissé des traces dans le vocabulaire contemporain.
Parce que les joueurs y frappaient du pied et y sautaient en tous sens, on disait alors qu’il trépignaient, ou qu’il “trippaient”. Souvent installés dans la cour des auberges, les jeux de paumes laissèrent ainsi le qualificatif de “tripots” aux arrières-salles peu recommandables.
Le jeu de paume nous aurait également laissé : “épater la galerie”, “tomber à pic”, “enfant de la balle”, rester sur le carreau”, “la balle au bond”, “jeu de mains, jeux de vilains”, “peloter”, “avoir l’avantage” et “qui va à la chasse perd sa place”. Le mot même de tennis viendrait lui-même de “tenez”, l’avertissement prononcé par le joueur au moment du service.
Échappé belle
Le bâtiment, dont certains traits caractéristiques ont été conservés, fait environ 300 m2 et mesure 31 mètres de long sur 8,5 mètres de large, à peu près conforme aux usages, bien que les règles soient fluctuantes : le court – ou “carreau” – est un rectangle d’environ 30 mètres par 10 mètres. Abandonné, dénaturé, défiguré, il a bien failli disparaître à plusieurs reprises.
A partir de 1764, il est transformé en écurie et accueille alors une cinquantaine de montures appartenant aux régiments qui tiennent garnison en ville. Après la Révolution, rebaptisé “le Manège” (ainsi que la rue) il redevient propriété privée, jusqu’en 1894. Il est alors acheté par la Ville, qui désire y installer une école, pour la modeste somme de 6.000 francs. Le bâtiment, promis à la destruction, sera sauvé par un revirement de la municipalité, qui abandonne le projet en août 1895. Le Manège est remis en vente au prix de 5.000 francs. Mais il ne trouve pas d’acquéreur et la Ville est obligée de revoir ses prétentions. Déjà fort douée en matière de gestion, elle finit par trouver preneur, en 1900, pour la somme de 3.000 francs. Le local devient alors tour à tour remise pour calèches, écurie, et entrepôt à volailles. En 1968, les Postes envisagent de le faire raser pour y installer un central téléphonique, projet abandonné en raison de l’étroitesse de la rue. Enfin, en 1970, le vieux jeu de paume sent encore le vent du boulet quand l’architecte Bernard Vitry, rédigeant le premier plan de sauvegarde de Chinon, imagine d’aérer le cœur de la vieille ville en y ouvrant de larges voies de circulation. Là encore, le projet ne verra pas le jour et le bâtiment, épargné, retournera à l’oubli et à sa lente décrépitude.
Partiellement classé monument historique en 2015, le jeu de Chinon a tout récemment trouvé acquéreur. Deux passionnés (un Britannique et un Français), appuyés par la Fédération française de tennis, ont fait le pari de le restaurer et d’y réintroduire la pratique de la paume, un sport ancien et aujourd’hui méconnu, qui continue à bénéficier, au niveau mondial, du soutien de quelques milliers d’aficionados. Il existe d’ailleurs, depuis 1924, une Fédération Française du Jeu de Paume (agréée en 1926) et un Comité Français de Courte Paume affilié dès ses origines à la Fédération française de tennis.
L’ancêtre de tous les jeux de raquette
Longtemps non codifié, le jeu de paume est à l’origine un loisir aristocratique. En 1415, après la défaite d’Azincourt, le duc d’Orléans, prisonnier des Anglais, passe 20 ans outre-Manche. Détenu à Winglfield, il y introduit le jeu de paume. En France, boudée par Louis XIV (qui lui préfère le billard) la paume quitte les cercles aristocratiques à la fin du XVIIème siècle, mais reste populaire jusqu’au XVIIIème siècle. Gâtée par les jeux d’argent, elle disparaît progressivement, tandis que les Anglais, dépositaires de la tradition, la modifient pour inventer le tennis sur gazon (en anglais, lawn tennis ; le jeu de paume, quant à lui est toujours appelé real tennis). Le jeu est aujourd’hui pratiqué en Angleterre, en Ecosse, en Australie et sur la côte est des Etats-Unis. Il existe même un jeu de paume à Hobarth, en Tasmanie ! En France, la paume n’a jamais vraiment disparu totalement. On y joue encore à Paris (rue Lauriston), à Fontainebleau, à Pau ainsi qu’au Pays basque (Bastide-Clairence, Bayonne, Arcangues, Itxassou). De par le Monde, plusieurs milliers de passionnés “font le circuit” et cochent sur leur petit carnet tous les jeux de paume dans lesquels ils ont joué aux quatre coins de la planète.
Nul doute que la remise en fonction d’un jeu de paume à Chinon n’attire en ville quelques-uns de ces amateurs qui entretiennent avec enthousiasme la mémoire et la pratique du vénérable ancêtre de tous les jeux de raquette.
Pour en savoir plus
– Le jeu de paume : jeu de rois, roi des jeux – Jean MEUNIER – Bulletin de la société des Amis du Vieux Chinon – Tome X, 6, 2002, p.579.
– Site officiel de la Fédération française du jeu de paume
– Atelier Martin Brunelle, architecte du patrimoine.